jeudi 13 septembre 2012

Réputation et coopération : de l’évolution naturelle à l’entreprise contemporaine


La « lutte pour l’existence » a longtemps dominé la version vulgarisée du darwinisme, et elle est certainement une réalité : le fait est que les organismes et populations luttent pour des ressources, des territoires ou des accès aux partenaires sexuels. Mais à côté de la compétition, les sciences du vivant ont découvert au cours des quatre dernières décennies l’importance de la coopération dans l’évolution des espèces. Et particulièrement de l’espèce humaine.

Pourquoi coopérer ? Il existe cinq stratégies à l’œuvre dans le vivant, comme le rappelle dans un brillant essai le biologiste et mathématicien Martin Nowak (2012a).
  1. La réciprocité directe : un individu a tendance à aider un autre individu l’ayant aidé (réciproquement, il aura tendance à trahir celui qui l’a trahi) ;
  2. La sélection spatiale ou réciprocité de voisinage : les individus en voisinage ont plus de relation d’entraide que les individus isolés ;
  3. La sélection de parentèle : puissante, elle pousse un individu à coopérer avec ceux qui partagent ses gènes (en commençant bien sûr par la famille) ;
  4. La coopération par réputation (ou réciprocité indirecte) : un individu ayant bonne réputation va s’attirer plus facilement l’aide de ses congénères ;
  5. La sélection de groupe aboutissant à la coopération universelle : certains individus peuvent accomplir des actes gratuits purs, qui servent à tout le groupe (la population, l’espèce).
Pour Martin Nowak, le succès rapide de l’espèce humaine provient du fait que nous sommes non seulement une espèce sociale, mais aussi une espèce « supercoopérative ». La raison ? Elle tient au langage qui a boosté les premier et quatrième mécanismes de coopération (réciprocité directe ; réciprocité indirecte de réputation). Grâce au langage, nous échangeons des quantités phénoménales d’information sur notre milieu principalement sur notre milieu social. Nous parlons les uns des autres, donc nous sommes portés à sélectionner dans notre entourage « informationnel » des individus ou des organisations dont on attend une certaine réciprocité. Comme le rappelle Matin Nowak (2012b), « nous sommes obnubilés par les interactions sociales et essayons de nous positionner au mieux dans le réseau qui nous entoure. Des études ont montré que les gens décident toujours en se fondant en partie sur la réputation, lorsqu’ils doivent choisir un organisme de bienfaisance ou une entreprise à soutenir ».

« Entreprise », le mot est lâché. L’imaginaire dominant voici peu était encore celui de la compétition généralisée, la lutte pour la survie dans une concurrence impitoyable du marché. Or, l’entreprise obéit elle aussi aux lois de l’évolution naturelle et sociale : sans la réputation et la coopération, elle décline, elle ne mobilise pas (ou mal) ses collaborateurs, elle n’inspire pas (ou peu) confiance à ses parties prenantes, elle néglige son public de client ou consommateur, n’incitant pas à cette interaction de base qu’est l’échange.

A l’heure des médias numériques, des réseaux sociaux et de la transparence quasi-intégrale, cette pression sur la réputation en vue de la coopération est plus forte que jamais. Cela signifie pour l’entreprise que la maîtrise de ses flux d’information est indispensable à la survie, a fortiori au succès. Mais dans cet écosystème numérique, gare aux tentatives maladroites et insincères de manipulation : elles entament en un clic de souris la réputation de l’entreprise, et produisent aisément des catastrophes relationnelles, donc économiques.

Nowak M, R. Highfield (2012a), Super Cooperators. Altruism, Evolution, and Why We Need Each Other to Succeed, Free Press.
Nowak M (2012b), Les cinq piliers de l’entraide, Pour la Science, 419, 68-72.

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